L'interview de Stéphane Graf
Masseur kinésithérapeute & formateur en hypnose

Peux-tu nous dire qui tu es ? Et comment tu en es venu à te former à l'hypnose ?
J'exerce le métier de kinésithérapeute dans un cabinet libéral à Annecy en Haute-Savoie, depuis un peu plus de 30 ans.
J'ai depuis toujours une manière de travailler qui utilise beaucoup la respiration régulière et profonde comme un outil de détente, de relaxation et même de sollicitation musculaire.
Il y a une dizaine d'années, deux de mes patientes, professionnelles de santé, toutes les deux formées à l'hypnose, qui ne se connaissaient pas, m'ont fait remarquer que ma manière de travailler induisaient un état particulier qui rappelait l'état hypnotique.
J'étais un parfait ignorant sur le sujet et ces remarques ont éveillé ma curiosité.
J'en ai parlé à un jeune confrère que j'estimais beaucoup parce qu'il était à la fois cool et ouvert, en même temps qu'il se lançait dans un master 2 "Philosophie, parcours culture et santé" à l'université de Lyon. Il était brièvement passé par Emergences et c'est lui qui m'a conseillé cet organisme de formation.
Quel a été ton parcours de formation à l'hypnose ?
De manière atypique pour un kinésithérapeute, j'ai commencé par la formation "Hypnose, douleur aiguë et analgésie". C'était une volonté de ma part, pour être en contact avec d'autres professionnels que ceux que je côtoyais habituellement. Emergences m'a fait remarquer qu'il existait aussi une formation "Hypnose et Médecine Physique", sans doute plus adaptée à mon métier, mais j'ai persisté dans mon premier choix. Je me suis donc retrouvé parmi les médecins anesthésistes, et les professionnels du bloc opératoire. J'étais ravi, mais ça a peut-être contribué à installer une certaine confusion dans ma compréhension de l'hypnose. J'y reviendrai plus loin.
Je me suis inscrit ensuite au cursus long (2 ans, je crois) proposé par Emergences : "Hypnose et Créativité Thérapeutique" qui m'a permis d'avoir une bonne vue d'ensemble de ce qu'il était possible de faire avec l'hypnose.
Par la suite, j'ai participé à des ateliers de perfectionnement proposés par Claude Virot. Le travail avec les mains qu'il a appris avec Ernest Rossi continue de m'inspirer. Puis je me suis beaucoup intéressé aux ateliers de Bruno Dubos qui est un psychiatre atypique : il travaille en mettant le corps au centre du processus thérapeutique.
J'ai ensuite été formé à l'Institut Mimethys à Nantes où j'ai suivi deux années de "Thérapie du Lien et des Mondes Relationnels" (TLMR). C'est là que j'ai véritablement appris que les traumatismes psychiques étaient de forts pourvoyeurs de symptômes physiques. J'ai pris conscience de l'immensité du chemin qui restait encore à parcourir : le voyage ne sera jamais achevé parce que le monde de l'hypnose ouvre des horizons infinis et passionnants.
Pourquoi as-tu choisi d'être formateur au sein d'Emergences ?
J'étais déjà formateur dans mon domaine en kinésithérapie depuis plusieurs années. Dès que j'ai l'impression d'avoir saisi un petit bout de ce qui constitue mon métier, j'ai toujours envie de le partager, de faire partie d'une chaine de transmission. Je trouve naturel et porteur de sens de redonner aux plus jeunes ce que j'ai moi-même reçu des plus expérimentés.
Quand Claude Virot m'a proposé de faire partie de l'équipe, je n'ai pas hésité !
Quel est le changement le plus significatif que l'hypnose a apporté à ta pratique ?
Spontanément, j'ai envie de dire que ça a tout changé !
S'il faut être un peu plus précis, ça m'a permis de réaliser que pendant plus de 20 ans de pratique, je devais provoquer un effet nocebo majeur sur les patients en les focalisant sans cesse sur leurs douleurs "est-ce que vous avez encore mal ? Quand avez-vous eu mal ? Mal comme ceci, ou mal comme cela ?". J'ai arrêté ça !
Ça m'a conduit moi-même à me décentrer du symptôme, à dé-zoomer en quelque-sorte pour adopter un point de vue plus systémique.
Mais le plus important, c'est sans doute d'avoir fini par sentir que l'hypnose est moins une technique opératoire qu'une modalité relationnelle. Elle émerge toute seule dès lors qu'il existe une relation humaine simple et sincère. J'ai mis quelques années pour commencer à sentir ça !
Y a-t-il des pathologies ou des motifs de consultations pour lesquels l'hypnose apporte des solutions de manière considérable ?
On aurait envie de répondre à cette question par une liste :
L'hypnose apporte des solutions très intéressantes pour les lombalgies, les algodystrophies, les fibromyalgies... et j'en passe ! Elle aide à la cicatrisation des tissus après une blessure. Sans parler de l'anxiété, des addictions, les troubles des conduites alimentaires, des troubles sexuels et j'en passe !
Mais il faut résister à établir ce listing tapageur principalement pour deux raisons :
La première, c'est que l'hypnose ne devrait être utilisée que dans le cadre d'une profession de santé ou de la relation d'aide réglementée. J'utilise l'hypnose dans le cadre de mon métier de kinésithérapeute et pour moi, les indications sont celles qui relèvent de la kinésithérapie en général, ni plus ni moins.
La deuxième, c'est que l'hypnose n'est pas un outil opératoire qu'on utiliserait sur un symptôme dans le but d'en débarrasser le patient. L'hypnose est plutôt une modalité relationnelle qui teinte, colore, imprègne le travail qui se construit entre le soignant et son patient.
Quels sont les bénéfices pour tes patients ? En as-tu observé ?
Le patients se sentent mieux entendus et mieux compris parce que les techniques de synchronisation améliorent la communication thérapeutique. Elle m'ont appris à les rejoindre dans leur rythme corporel, dans leur vison d'eux-même et dans leur vision du monde.
De plus, le fait de fixer avec eux des objectifs clairs et atteignables facilement permet de rendre les patients autonomes beaucoup plus vite quand les objectifs sont atteints.
Et le fait d'orienter l'attention des patients vers leurs ressources plutôt que vers leurs difficultés ou leurs douleurs a un effet éminemment thérapeutique.
Contrairement à ce qu'on pourrait penser spontanément, les patients sont beaucoup plus actifs durant leurs séances. L'hypnose potentialise leurs chances de guérison comme elle potentialise les compétences du kinésithérapeute. Quand on travaille avec l'hypnose on devient un meilleur kinésithérapeute parce qu'elle aide à contourner les barrières cognitives limitantes du patient. C'est particulièrement vrai concernant la kinésiophobie par exemple : les patients retrouvent la confiance et la spontanéité, la mobilité, l'amplitude.
As-tu ressenti également un impact sur toi ? Sur ta vie professionnelle ?
Un impact très important !
Les kinésithérapeutes en général (surtout à l'époque où j'ai fait mes études !) sont formés pour "appliquer des techniques sur des patients". Cela nous place de fait dans une illusion de toute-puissance : on sait quelle manoeuvre appliquer pour soulager une articulation, on sait quel exercice conseiller pour le bien du patient... Il m'est arrivé de sentir une pression énorme sur mes épaules, surtout quand le patient n'allait pas mieux ! Je me disais que c'était certainement de ma faute, je n'étais pas assez compétent, je n'en avais pas fait assez, je redoublais d'efforts... et ça ne marchait pas mieux. Les échecs des patients devenaient mes échecs. Et quand ils allaient mieux, ça regonflait très temporairement mon ego ! C'est une position haute intenable, ou alors aux prix de tensions et d'efforts qui conduisent à l'épuisement professionnel.
Or la relation hypnotique nous apprend à faire équipe avec le patient et à nous orienter ensemble vers ses ressources. On part du principe que c'est le patient qui possède la solution, c'est lui qui sait ce dont il a besoin. Cela ne veut pas dire que le thérapeute ne sait rien, mais on apprend une manière de se décentrer pour laisser émerger des pistes de solutions entre le patient et nous. De ce fait, on s'autorise à être plus créatif, plus léger, plus authentique aussi en exprimant parfois notre impuissance, nos limites, nos doutes. Ces questionnements partagés constituent une matière qui peut être travaillée avec le patient et on constate que très souvent, des solutions émergent.
As-tu une séance d'hypnose à nous raconter avec un patient ? Qui t'a marqué ?
La séance qui me vient immédiatement à l'esprit n'est pas une séance d'hypnose formelle, mais plutôt une situation clinique :
Je me souviens d'une patiente qui souffrait de cervicalgies chroniques. Chaque semaine je mobilisais sa tête et son cou de manière douce pour faire lâcher les tensions de sa nuque et retrouver des amplitudes confortables. Tout se passait très bien mais elle n'allait jamais mieux.
Un beau jour, je lui ai demandé si elle accepterait de faire quelque-chose d'un peu différent. Je me suis assis sur une chaise, je lui ai proposé, pour une fois, de garder ses vêtements, de s'asseoir sur la chaise en face de la mienne et d'observer attentivement l'espace entre nous. Je lui ai demandé d'évaluer si cet espace était trop grand, trop petit ou bien adapté. Nous étions à environ 2 mètres l'un de l'autre mais elle m'a demandé de reculer tellement elle se sentait oppressée dans les épaules !
Comment se fait-il que tout semblait très bien se passer quand j'avais sa tête entre mes mains alors que ma proximité était insupportable pour elle quand je l'invitais à y prêter attention et à se connecter à ses sensations corporelles ?
Nous venions d'expérimenter ce qu'on appelle la dissociation... et la réassociation : quand je travaillais sur sa nuque et contrairement aux apparences, elle n'était pas là ! On peut être dans la même pièce sans être ensemble finalement... Tandis-que quand je prenais soin de la focaliser sur notre présence commune ici et maintenant, elle ressentait des effets corporels qu'elle connaissait bien !
Je venais d'apprendre la différence entre travailler "sur une nuque" et travailler "en lien avec une personne".
Combien de patients, pourtant intimement en contact avec les mains d'un thérapeute physique, se sont ainsi échappés ailleurs ? Et combien de thérapeutes entretiennent ainsi la dissociation dont on sait qu'elle fabrique des symptômes. Ça conduit en général le patient à l'errance médicale et au désespoir !
Il est vrai que les patients qui présentent de la douleur chronique nous font souvent ce genre de demande : "vous qui êtes le professionnel, vous qui savez, faites donc sur moi ce qu'il faut faire. Je compte sur vous pour me dire quand j'irai mieux ! D'ailleurs, ça nécessitera combien de séances ?"
J'ai appris à ne plus accepter ce genre de demande et la relation hypnotique me permet aujourd'hui de faire émerger une coopération vers un objectif commun.
Il me vient aussi une autre séance interessante :
Je voyais à mon cabinet depuis quelques temps un patient qui avait mal dans le bas du dos. Un sportif, militaire, la quarantaine. Un homme assez silencieux, d'apparence assez dure, raide, avec qui nous avions, avec le temps, installé une bonne relation. Le bas de son dos allait beaucoup mieux et il préparait une grande course de randonnée à ski. Il suivait une préparation rigoureuse connaissait le trajet par coeur pour l'avoir plusieurs fois réalisé à l'entrainement.
Une semaine avant l'épreuve, je lui ai demandé s'il souhaitait réaliser le parcours sous la forme de technique de visualisation mentale alors qu'il était là, avec moi, dans le cabinet.
Pendant cette course virtuelle, je l'ai aidé visualiser le paysage, à contacter toutes les sensations, dans ses muscles, dans sa respiration, les battements de son coeur. Il a senti le froid sur son visage, la chaleur liée à l'effort dans son corps. Quand une douleur ou une tension survenait, il apprenait à relâcher la région qui en avait besoin. Il reprenait son souffle dans les descentes, profitait de la glisse avec légèreté. Il se mobilisait à nouveau dans les côtes. Il entendait le son du glissement de ses skis, le silence de la montagne, la respiration des autres concurrents...
Quand il a passé la ligne d'arrivée, il était heureux d'avoir réussi à gérer son effort. Il était accueilli par ses proches et rentrait heureux à la maison !
Mais le plus émouvant s'est produit lorsque je l'ai invité à laisser venir sur l'écran fermé de ses paupières, la personne qui était le plus fier de lui, qui ne serait pas surprise de le voir finir cette course en beauté. J'ai vu des larmes couler de ses yeux clos, un sourire sur son visage et il m'a dit : "c'est le regard de mon père qui me dit combien il est fier de moi. Mon père est décédé il y a 5 ans et je n'avais jamais pleuré. Il me dit de profiter de la vie" !
Je l'ai invité à observer laquelle de ses deux mains allait se poser là où il allait pouvoir garder le regard de son père qui est fier de lui et qui lui dit de profiter de la vie.
Naturellement, sa main s'est porté sur son coeur.
Il m'a envoyé un texto après l'épreuve pour me dire qu'il l'avait terminée du mieux qu'il pouvait, avec beaucoup de joie, de facilité... et de fierté !
L'hypnose permet une préparation mentale qui complète la préparation physique. Et elle a cette capacité à favoriser l'association des tiers soutenants. Même tout seul dans la montagne, à ski, en vélo ou sur un ultra-trail, on n'est jamais seul... on amène toujours notre monde relationnel avec nous !
Je pense aussi à une manière de travailler que j'aime beaucoup.
Je sollicite un mouvement volontaire dans une région du corps qui fonctionne bien. Il suffit que ce mouvement soit un peu complexe, dans une amplitude inhabituelle, avec une intensité plutôt élevé, pour qu'il déclenche des contractions involontaires à distance. C'est un excellent moyen de réactiver des zones corporelles "endormies" parce qu'elles ont été mises à part à cause d'une douleur par exemple. Bien entendu, on peut faire ça sans l'aide de l'hypnose, mais ça fonctionne beaucoup mieux dès lors qu'on se synchronise avec le patient pendant les mouvements, qu'on emploie une réthorique hypnotique et qu'on associe des suggestions adaptées. C'est vraiment un excellent moyen de recréer une sensation d'unité corporelle à partir d'une zone corporelle ressource.
Quelle émotion ressens-tu en pensant à ta première séance d'hypnose ?
L'émotion que j'ai ressentie à ce moment-là est un mélange d'enthousiasme (avant) et de déception (après). Je n'avais rien compris ! De retour de formation, j'ai voulu appliquer des techniques avec l'enthousiasme débordant du débutant. J'allais trop vite, trop fort, je n'étais pas accordé avec mon patient.
L'émotion qui vient quand j'y repense aujourd'hui, c'est de la tendresse pour le jeune (de 45 ans !) que j'étais alors. Je lui suis reconnaissant d'avoir persisté. C'est grâce à toutes les personnes talentueuses qui m'ont transmis, non pas une technique, mais une manière "d'être en lien" avec les patients. C'est grâce aussi aux patients, qui malgré mon inexpérience et mes maladresses, ont continué à me faire confiance.
Y a-t-il des techniques hypnotiques fondamentales en kinésithérapie ?
Ce qui est fondamental, c'est la synchronisation sur le rythme corporel du patient. Ça implique d'observer très attentivement les petits signes émis par le corps du patient.
Mais ce n'est pas propre à la kinésithérapie. Cela s'applique à toute relation de soin et de manière plus générale, dans toute relation humaine qui fait émerger de la coopération.
Encore une fois, l'hypnose n'est pas une technique, c'est une modalité relationnelle.
Quand la synchronisation est là, il existe de très nombreuses "portes d'entrées" pour aider le patient. Là encore, je résiste à dresser une liste de techniques fondamentales parce que les techniques ne sont pas intéressantes en tant que telles : elles sont toujours au service d'une intention thérapeutique. Cette intention est différente pour chaque patient, elle change d'une séance à l'autre, elle peut même changer au cours d'une même séance en fonction des réactions observées.
Observation, synchronisation, adaptabilité, créativité, voilà ce qui est fondamental pour moi.
Et il est vrai que plus notre bagage technique est riche, plus on aura de choix pour s'adapter à ce qui convient dans l'instant de la séance. Mais je ne privilégierais pas une technique plutôt qu'une autre. Elles ont toutes leur utilité dans un contexte particulier.
Utilises-tu plus l'hypnose conversationnelle ? Ou formelle ?
Les patients qui viennent me consulter savent que je travaille avec l'hypnose, qu'elle fait partie de mes compétences et d'ailleurs, je donne à nouveau cette information quand je me présente lors du premier rendez-vous. Et c'est l'occasion de clarifier certaines idées reçues sur le sujet. Je prends le contre-pied de l'hypnose de spectacle en banalisant l'état hypnotique. Je propose d'appeler ça comme on voudra, des techniques de visualisation, de la concentration, du focus, de l'orientation de l'attention sur des sensations corporelles... je rassure en disant que les yeux peuvent rester ouverts, qu'on peut continuer à discuter et qu'on ne saura même pas très bien dire quand on commencera à faire de l'hypnose... que je ne sortirai pas une pancarte "Hypnose" quand on fera de l'hypnose, d'ailleurs est-ce qu'on en fera vraiment, est-ce qu'on en aura besoin, ce n'est pas certain, je ne le sais pas tellement...
En disant cela, je suis attentif aux réactions du patients, je le rassure, je le fais rire parfois et je le confusionne beaucoup aussi. L'hypnose a déjà commencé !
Quant aux patients qui tiennent absolument à faire de l'hypnose, je les questionne : de l'hypnose pour quoi faire ?
Car les professionnels qui disent qu'ils "font de l'hypnose" et les patients qui demandent à ce qu'on "fasse de l'hypnose sur eux" ont un point commun : ils sont fascinés par ce qu'ils prennent pour un outil en oubliant de poser une demande, des intentions et des objectifs.
Du côté du professionnel, c'est un peu comme s'il se définissait en disant : "j'utilise le marteau". On aurait envie de lui demander : mais dans quel cadre ? Quel est votre métier ? Vous êtes maçon ? Sculpteur sur bois ? Chirurgien orthopédique ? Mécanicien automobile ?
Du côté du patient, ce serait comme d'aller consulter un chirurgien en lui disant : "je viens vous voir parce vous utilisiez tel bistouri électrique".
Il peut m'arriver de donner ce genre d'exemple à mes patients. Après ça, nous sommes à peu près débarrassés de ces questions. L'hypnose devient un bain relationnel dont personne ne s'occupe plus... en tous cas pas le patient !
Ceci étant dit, un observateur qui regarderai une séance évoluer décollerait certainement plusieurs phases. Au bout d'un moment, il verrait clairement les signes de l'état hypnotique s'installer : le patient concentré sur ses sensations internes, les yeux fermés, parlant peu, sa gestuelle ralentie...
En quoi le kinésithérapeute - approche du corps - peut trouver des réponses dans sa pratique avec l'hypnose ?
L'hypnose peut être définie comme une orientation de l'attention. Une manière très facile d'orienter son attention, c'est de se concentrer sur une sensation corporelle.
Or, je pense que tous les kinés et les ostéopathes baignent dans la relation hypnotique au quotidien, mais ils ne le savent pas. C'est dommage car s'ils le savaient, ils pourraient l'utiliser, aller chercher les ressources, les ancrer, les amplifier, apprendre au patient à les retrouver !
Ils pourraient aussi apprendre à travailler avec ce qu'il se passe quand le toucher, pourtant doux et précautionneux, provoque encore plus de tensions et que le patient laisse venir des larmes.
J'ajouterais que les chaines d'expériences qui se construisent dès la naissance et tout au long de la vie, démarrent toujours par une sensation corporelle. Or les mouvements donnent des sensations corporelles... et les kinésithérapeutes sont les spécialistes du mouvement. C'est pourquoi, je suis persuadé que les kinés et les ostéopathes, plus que tout autre professionnel de santé, sont aux premières loges pour intégrer l'hypnose dans leur travail quotidien.
L'hypnose est corporelle avant d'être "dans la tête".
Pratiques-tu l'hypnose de la même manière avec un douloureux aigu vs un douloureux chronique ?
C'est une question fondamentale.
Une douleur aiguë connait naturellement une évolution favorable avec la cicatrisation des tissus, ou tout simplement quand le geste médical qui la provoque s'arrête. Mais au moment où elle est présente de manière parfois très vive, les gens ont besoin d'aide. L'hypnose apporte cette aide précieuse, parfois de manière spectaculaire, en orientant l'attention du patient ailleurs plutôt que sur les quelques centimètres-carrés de son corps qui lui font mal. On aide le patient à se dissocier : son corps est ici, mais son imagination est focalisée ailleurs, dans un lieu agréable, accompagné par des proches qui le soutiennent et peut-être même dans un autre temps, plus propice pour se connecter à des ressources utiles.
Finalement, on peut considérer qu'à ce moment précis, la douleur est un symptôme qu'il faut atténuer au maximum.
La douleur chronique est une douleur qui a pu être aiguë dans les premiers temps, mais qui ne suit pas l'évolution ordinaire qui l'emmène naturellement à disparaitre : elle ne passe pas. L'imagerie médicale ne montre rien que de très banal. On donne des antalgiques, des anti-inflammatoires et malgré un certain soulagement, les douleurs persistent. Au fil du temps, la douleur prend une place dans le monde relationnel de la personne : conjoint, amis, collègues de travail, tout le monde est imprégné par la présence de la douleur chez l'autre. Elle peut même devenir une partie de l'identité de la personne et un mode relationnel avec ses inconvénients mais aussi avec ses avantages.
Le piège consisterait à vouloir à tout prix supprimer le symptôme. En effet, ce dernier constitue un problème (le patient s'en plaint) en même temps qu'une solution (un mode relationnel connu, habituel, adapté, parce qu'ancien).
Quand on apprend l'hypnose en douleur chronique, on est sensibilisé aux principes des thérapies brèves et systémiques. On apprend à se décentrer du symptôme pour agir sur des éléments de contexte en posant par exemple cette question toute simple : "quand il y a cette douleur qui est là, qu'est-ce que ça vous empêche de faire ? Avec qui ? A quel endroit ? A quel moment ?" L'hypnose permet alors de focaliser la personne sur ces éléments relationnel et non sur la douleur à proprement parler.
On peut aussi éloigner le patient du symptôme en lui proposant de réaliser un mouvement dans une partie confortable de son corps et l'interroger sur les sensations qui viennent. Si c'est une sensation agréable, lui demander si cette sensation est connue, dans quelle circonstance, dans quel lieu, avec qui... et utiliser l'état hypnotique pour amplifier cette sensation et aider le patient à visualiser ce que ça va l'amener à faire de "nouveau" ou de "différent". Ces deux mots sont des suggestions fortes qui ouvrent la voie vers la sortie de la chronicité.
A un kiné ou à un ostéopathe qui hésite à se former à l'hypnose, que dirais-tu ?
Les kinés et les ostéopathes sont les professionnels de santé qui sont les mieux placés pour utiliser l'hypnose facilement avec les patients parce que ce sont des professionnels du corps et du mouvement. Il est très facile de demander à un patient de porter toute son attention sur la sensation éprouvée lors de la réalisation d'un mouvement simple. Il s'agit d'une puissante focalisation de l'attention sur un éprouvé corporel : l'hypnose est déjà là !
Je suis persuadé que les kinés et les ostéopathes sont déjà dans un bain hypnotique quasi-permanent avec leurs patients... mais il n'ont pas encore appris à le repérer, ni à l'utiliser.
Apprendre à repérer et à utiliser cet état va non-seulement potentialiser ce qu'ils savent déjà faire, mais aussi leur ouvrir des perspectives de travail inattendues, riches et créatives.
Quelle est ton approche en formation ?
Avant de théoriser des concepts et d'enseigner des outils thérapeutiques, j'aimerais que les participants puissent sentir que l'hypnose émerge naturellement du lien humain et que celui-ci passe en premier lieu par la synchronisation corporelle.
Tu as remodelé le programme pour 2026, peux-tu nous expliquer pourquoi et comment ?
L'ancien programme était teinté par l'hypnose appliquée à la douleur aigüe. Dans ce contexte, la douleur est considérée comme un symptôme qu'il faut atténuer au maximum pour pouvoir protéger le patient d'une douleur existante ou d'un geste potentiellement douloureux. Les kinés peuvent avoir besoin de ces technique hypnotiques pour rendre acceptable une mobilisation douloureuse par exemple. Bien entendu, il faut continuer d'enseigner cette "hypnose de dissociation" qui oriente l'attention du patient ailleurs, pour le protéger ici.
Mais les kinés et les ostéopathes reçoivent souvent des patients avec de la douleur chronique. Ils sont parfois désespérés de ne pas sentir de changement au fil des mois et même des années. On ne peut pas appliquer avec ces patients les mêmes "recettes" que celles qui fonctionnent avec les situations de douleurs aiguës. On aide mieux les patients en s'éloignant du symptôme et en le considérant comme la conséquence de l'altération d'une modalité relationnelle. On s'oriente alors vers de "l'hypnose de réassociation", qui a pour intention de faire sentir au patient une expérience d'unité pleine est entière, en lien avec le thérapeute.
En s'éloignant du symptôme, on pourrait penser que le kiné ou l'ostéopathe s'éloigne de son domaine de compétence pour empiéter sur celui de la psychothérapie. Or, toute tentative de séparation du corps et de l'esprit (on peut aussi l'appeler le psychisme, la conscience, la tête... comme on voudra), aboutit à une augmentation de la souffrance.
Le patient doit être observé et accueilli d'un point de vue "bio-psycho-social", cette dénomination étant à prendre comme un tout indissociable.
En matière de formation, je plaide donc pour la transversalité des savoirs. C'est la raison pour laquelle j'ai sollicité le Dr Bruno Dubos qui est médecin psychiatre, pour m'aider à remodeler ce programme. Il a accepté avec beaucoup d'enthousiasme. J'en suis très touché et je lui en suis très reconnaissant. Depuis que j'ai découvert son travail, j'ai senti combien son regard est précieux pour les kinés et les ostéopathes, parce que c'est un psychiatre qui recrée du lien entre le corps et les représentations psychiques. Dans la hiérarchie des priorités, je dirais même qu'il place le corps au centre du processus thérapeutique.
J'ajouterais encore une chose : tous mes collègues kinés ou ostéopathes sentent bien que les patients qui souffrent de douleurs chroniques sont souvent en proie à des difficultés émotionnelles, relationnelles et psychologiques. Et tous mes amis psychiatres et psychologues savent bien que s'ils avaient accès au corps, leur travail serait grandement facilité. D'ailleurs, les psychologues se forment de plus en plus à des thérapies psycho-corporelles !
Un des objectifs de cette formation est de relier ces deux pôles qui ne sont qu'artificiellement séparés.
Combien de temps faut-il pour se sentir à l’aise avec les outils hypnotiques dans sa pratique ?
Quand l'hypnose est utilisée comme un outil pour soulager la douleur aiguë et qu'on commence à s'exercer avec des patients coopérants, motivés et confiants, ça va vite. Le patient, tout comme le praticien, retirent rapidement beaucoup de satisfaction de cette nouvelle manière de travailler. La relation soignant-soigné est plus ajustée, plus fluide, plus humaine au fond car on cesse "d'agir sur" une douleur ou une difficulté, pour "être en relation avec" un être autre être humain comme nous. Bien entendu, les professionnels de santé possèdent déjà un sens aigu de la relation humaine, mais l'apprentissage de l'hypnose donne des clefs pour franchir une étape supplémentaire.
On entend souvent dire qu'il y a un avant et un après.
En revanche, il faut plusieurs années d'expérience pour être à l'aise dans des conditions plus difficiles. Pour travailler avec les patients souffrant de douleurs chroniques avec suffisamment de souplesse pour s'adapter à des situations variées, ça demande quelques années de pratique clinique. C'est beaucoup de travail dans les formations, du travail dans nos cabinets avec nos patients... de la lecture dès qu'on peut...
En ce qui me concerne, c'est un univers tellement riche et passionnant que je ne ressens pas le travail comme une contrainte. Je découvre toujours quelque-chose de nouveau qui éclaire mes connaissance et enrichit ma pratique. Mais chaque nouvel éclairage met aussi en lumière l'étendue de mon ignorance ! Alors je continue à me former en permanence !
Mais je suis persuadé que bon nombre de mes collègues iront plus vite que moi : j'ai besoin de voir et de revoir, de sentir et de ressentir, de laisser infuser les apprentissages, de les laisser s'échapper et revenir encore... Tout le monde n'a pas le même mode d'apprentissage.
A un kiné qui hésite à se former à l'hypnose à Emergences ou dans un autre institut, que dirais-tu ?
Emergences n'accepte de former que des professionnels de santé. C'est un parti-pris qui incontestablement installe de la sécurité, à la fois pour les personnes formées et pour les patients qui bénéficieront de leurs soins.
L'hypnose est ainsi une pratique alternative qui garde les pieds sur terre, tant sur le plan scientifique que déontologique. Elle est pratiquée dans le cadre de nos professions médicales ou para-médicales. Pour ne parler que de ce qui me concerne, je souhaite que les kinésithérapeutes ou les ostéopathes formés à Emergences continuent de s'identifier comme des kinésithérapeutes ou des ostéopathes... qui utilisent l'hypnose pour mieux aider les patients dans le cadre de leur professions.
La transversalité des savoir est une réalité à Emergences : médecins généralistes ou spécialistes, infirmier(e)s, psychologues, sage-femmes, dentistes, kinésithérapeutes, ostéopathes, ergothérapeutes, psychomotricien(e)s... tout ces professionnels de santé se côtoient de manière très confraternelle, sans rapport hiérarchique. Chacun a conscience qu'il possède un petit bout de solution dans un contexte précis et que les autres collègues vont avoir d'autres clefs, d'autres idées riches et créatives. On échange beaucoup dans les formations, dans les congrès, on crée des liens entre nous qui sont autant de ressources. Si on ne sait pas, si on a une interrogation, il y a toujours quelqu'un à qui demander !
C'est un institut qui réussit à avoir une attitude à la fois très sérieuse sur le plan professionnel et très conviviale, presque familiale, dans l'accueil et l'accompagnement des personnes qui viennent se former. Il y a une équipe solide, tant pédagogique qu'administrative. Il y a beaucoup de joie, d'enthousiasme, d'envie de partager. Les congrès organisés par Emergences à Saint-Malo et à Paris reflètent bien cet état d'esprit.
Je trouve aussi que la méthode d'apprentissage utilisée dans les formations est très efficace : le formateur fait un exposé théorique, une démonstration, les participants font l'exercice trois fois, en tant que praticien, en tant que patient et en tant qu'observateur, puis on débriefe tous ensemble. C'est un apprentissage qui nous aide non-seulement à comprendre, mais aussi à entrer dans une perception très expérientielle. C'est très enrichissant.
On peut passer de nombreuses années à Emergences, acquérir des bases solides et un panel de compétences très large. Ce qui n'empêche pas d'aller explorer d'autres horizons dans d'autres organismes de formation.