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Hypnose et Médecine Générale

Article écrit par le Dr Pierre Le Grand, médecin Généraliste

Pratique

Osez !

Médecin généraliste, formé à l’hypnose médicale, je croise d’autres médecins qui ont cet outil dans leur sacoche. Certains s’en servent, d’autres moins. Ils invoquent alors tout un tas de raisons : pas le temps, pas de reconnaissance de l’acte, pas facile à concilier avec l’organisation du cabinet… Pourtant, l’hypnose peut apporter quelque chose en plus au patient mais aussi au médecin lui-même.

A travers cet article, je vous propose de découvrir différentes situations où l’hypnose m’a été utile dans plusieurs contextes de médecine générale.

MADAME O.

J’ai débuté ma formation en hypnose au cours de mon internat. Mon dernier semestre se déroulait en autonomie chez des médecins généralistes. Au début du stage, lors d’une consultation réalisée en binôme avec le médecin senior, Mme O. décrit une douleur allant de l’épaule au poignet gauche et une autre douleur au majeur gauche. Je l’examine et retrouve une névralgie cervico-brachiale (NCB) avec une contracture musculaire bien palpable au niveau du trapèze gauche. Le médecin senior prend alors le relais pour effectuer de la mésothérapie.

Au cours de l’examen, en poursuivant l’échange, la patiente explique son contexte de stress et d’angoisse lié à un problème familial récent. Le médecin me glisse : « Tu peux peut-être faire de ton truc là pendant que je fais le geste. »

La patiente a déjà eu de la mésothérapie et anticipe la douleur de ces multiples injections dans le dos. Je me dis que je pourrais au moins détourner son attention de cette partie du corps. Allez j’ose faire de l’hypnose avec cette patiente ! Mais quoi faire ? Je n’ai pas eu le temps d’en discuter avec elle. L’autre médecin ne connait pas cette pratique et risque d’interférer. Pas le temps de trouver un tas de raison pour ne rien faire, je m’entends dire : « Pendant que mon collègue s’occupe d’une partie de vous… je vais vous proposer un petit exercice… et pour ça j’aimerai savoir… où est-votre angoisse ? »

J’aperçois le regard déconcerté du médecin derrière la patiente. J’imagine qu’il cherche la logique de la question. La réponse de la patiente vient confirmer mon intuition : « Dans ce doigt » (majeur gauche). « Très bien… » Et l’on poursuit la réification de cette angoisse sous la forme d’une pierre blanche, rigide et froide qui s’est installée là. Petit à petit, la pierre devient plus souple, plus chaude et le doigt devient plus confortable.

Je repense alors à sa description initiale de la douleur. Elle en distinguait bien deux. Et je me demande ce qu’auraient pu faire les antalgiques ou la mésothérapie sur cette douleur du doigt qu’en tant que médecin on aurait attribué à la NCB mais que la patiente rattachait à de l’angoisse.

Au cours du stage, je reverrai Mme O pour un autre motif. Elle m’expliquera qu’elle a continué à s’aider de la respiration pour atténuer cette gêne au doigt. « Très bien ! »

MADAME S.

Après les stages, je débute les remplacements. Il faut s’adapter rapidement au cabinet, à l’organisation du médecin, à son logiciel, à son rythme de consultation, etc… Un matin, je reçois Mme S. qui vient pour le renouvellement de son antidépresseur. L’entretien confirme qu’elle est effectivement en dépression chronique. Suite au décès de son mari il y a plus d’un an, elle passe toutes ses journées au cimetière. Toute son énergie y passe. Elle ne mange quasiment plus et continue de perdre du poids. Elle refuse de voir un(e) psychologue (« A quoi ça servirait ? ») ou un(e) psychiatre (« Pour avoir encore plus de médicaments ? »).

J’aurai pu renouveler le traitement et laisser son médecin habituel réévaluer. Mais j’ai envie de lui proposer autre chose. Allez j’ose ! Il ne me reste que deux jours de remplacement donc j’insiste bien sur le fait que c’est à elle de décider si elle se sent prête à changer. Elle me dit oui, alors on se revoit en fin de journée où elle m’explique son parcours de vie. Ce premier entretien me permet d’avoir quelques hypothèses d’état et de processus et de repérer des ressources, notamment sa résistance et sa capacité à affronter une multitude de situations problématiques !

Je la revois dès le lendemain soir. La séance est riche en émotion. Elle réussit d’abord à dénouer le nœud en béton qui lui bloquait l’estomac. Ensuite petit à petit, elle se construit un lieu sûr, toujours avec beaucoup d’émotion. Et puis pas de nouvelles… Je recontacte donc le médecin traitant quelques mois après. Il m’apprend que tout son entourage la trouve changée. Elle ne se rend plus de manière obsessionnelle au cimetière et en est ravie ! « Bravo ! »

MADAME E.

Par la suite, je trouve un remplacement régulier et avec l’accord des médecins du cabinet, je réserve une demi-journée par semaine consacrée uniquement à la thérapie brève. J’ai ainsi l’occasion d’accompagner Mme E. Elle consultait régulièrement pour des vertiges atypiques. Les différents examens et avis spécialisés ne retrouvaient pas de diagnostic précis et les traitements étaient peu efficaces. Mais je la vois pour son problème de stress et de dépression. Elle est d’ailleurs suivie par un psychiatre qu’elle voit tous les quinze jours depuis plus d’un an et elle prend antidépresseur et benzodiazépine depuis ce temps.

A la quatrième séance, elle me raconte qu’elle est en train de refaire la tapisserie de sa chambre, qu’elle projette de partir en vacances, qu’elle se pose même la question de déménager ! Lors de la séance, elle échangera en hypnose conversationnelle avec différentes parties d’elle-même. Comment concilier cette partie qui a envie de vivre et de changer avec cette partie inquiète qui demande de la prudence ?

La thérapie se poursuit en réévaluant les objectifs, en avançant par étapes, avec les changements qui apparaissent mais aussi de nouvelles difficultés. Autour d’elle, les autres changent aussi, notamment son mari. Lui qui s’était mis à boire décide de se remettre au vélo. Après sept mois de thérapie et huit séances, nous décidons d’arrêter cet accompagnement. (Au passage, je note que durant cette période, elle n’a plus consulté pour ses vertiges…) Elle a repris goût à la vie et a appris à écouter les différentes parties d’elle pour ne plus rester figée. « Super ! »

MONSIEUR Z.

Après cette période de remplacement, je débute une activité en maison d’arrêt. Les contraintes y sont encore différentes. La surpopulation carcérale surcharge le planning de consultations. Il faut aller vite et pourtant il y a tant à faire. Parfois, je prends malgré tout le temps d’apprendre à un patient à retrouver un lieu sûr ou agréable. Le temps passé à ce qu’il retrouve cette autonomie, à le reconnecter à ses ressources, c’est du temps gagné pour la suite, si je n’ai plus à le revoir régulièrement pour renouveler des anxiolytiques…

Je fais la connaissance de M. Z. qui est habituellement suivi par un autre médecin du service. Les infirmières me demandent de le voir pour des douleurs abdominales. À l’examen, je retrouve une douleur abdominale atypique. Je prescris un traitement symptomatique et des examens pour m’aider dans le diagnostic. En écrivant mon observation, je vois noté dans le dossier : « À voir en hypnose, probable stress post- traumatique ». J’explique au patient que c’est moi le médecin qui fait de l’hypnose et je mets les pieds dans le plat : « Vous avez vécu un trauma ? ».

Confirmation immédiate, M. Z. se replonge dans une transe négative. Il déborde d’émotion, se cache le visage, n’arrive plus à aligner deux mots… Je n’ai aucune idée du traumatisme initial mais je vois bien que ça va être compliqué de retourner en cellule dans cet état. Je lui demande alors quelque chose de simple : « Regardez mon doigt là maintenant… ». Après quelques mouvements alternatifs, il se sent déjà un peu plus apaisé. « Très bien ! »

Je l’invite ensuite à revivre la scène comme s’il était un spectateur qui la voyait de plus loin et avec le pouvoir de changer certaines parties. J’utilise des termes flous ne connaissant pas le contexte et je ratifie chaque signe du travail qu’il accomplit. Après une vingtaine de minutes, il se sent mieux. « C’est bizarre. Ça ne me fait plus pareil quand j’y pense maintenant… Et en plus, je n’ai plus mal au ventre. » « Magnifique ! »

Ces quelques anecdotes illustrent la diversité de la pratique de l’hypnose en tant que généraliste. Les indications, les situations, les techniques, les durées de thérapie sont multiples et variées. Je pourrais raconter bien d’autres rencontres encore, des plus impressionnantes, des plus banales, des plus difficiles, des plus cocasses…

En tant que médecin généraliste, nous sommes des soignants de premiers recours, habitués à prendre en compte la personne dans sa globalité. Nous pouvons prendre le temps de revoir les patients, d’avancer à leur rythme. Le rôle de « médecin de famille », nous donne un avantage pour l’observation du système, pour la construction d’une alliance thérapeutique spécifique. L’hypnose est une ressource bien utile que nous pouvons oser proposer aux patients. Certains s’en saisiront, d’autres non. Chacun l’utilisera pour faire ce qui est utile pour lui à l’instant présent. Le patient est placé au centre du soin, acteur des changements qui lui sont nécessaires.

L’hypnose et la communication thérapeutique sont aussi des outils qui apportent du confort au médecin lui-même ! On évite ainsi bien des soupirs en regardant le planning (« Oh non, pas… »). Lors de l’examen pédiatrique par exemple, le choix illusoire m’a bien aidé : « Tu préfères que je regarde d’abord l’oreille droite ou la gauche ? ».

Qu’on l’utilise de façon saupoudrée, symptomatique ou plus stratégique en thérapie brève, la pratique de l’hypnose apporte un autre regard, nous donne une autre posture vis- à-vis du patient. Cette posture qui implique une coopération avec le patient, nous permet d’éviter l’épuisement. Ce n’est pas le médecin qui fait tout !

Au delà de son intérêt pour le patient et pour l’épanouissement professionnel du médecin, l’hypnose peut aussi apporter un bénéfice secondaire sur un plan plus personnel. Suite à un atelier de perfectionnement à la rencontre de mon « enfant intérieur », je me suis mis à la pratique du tir-à-l’arc. Ainsi régulièrement je prends plaisir à tirer quelques flèches. Sur le pas de tir, je suis juste présent dans « l’ici et maintenant », focalisé sur les sensations de mon corps, les pieds bien ancrés. Si je veux que la flèche atteigne la cible, je dois paradoxalement me détacher du résultat et être simplement dans la juste posture. La respiration donne le rythme pour coordonner le mouvement. L’inconscient et le conscient, ensemble avec la même intention, recherchent le kairos, le moment où tout est juste. Alors la main poursuit son mouvement et décoche la flèche. Les non-initiés pourraient croire que la trajectoire de la flèche est linéaire. Mais le paradoxe de l’archer (1) vient contre-dire cette logique linéaire ! Dans ce système complexe, si souplesse, fluidité, équilibre sont présents la flèche atteindra sa cible transformant ainsi les sensations en émotion ! Il n’y aura alors plus qu’à… recommencer ! Répéter encore le même mouvement pour renforcer cet apprentissage. Pratiquer encore et encore pour se perfectionner !

A travers cet aparté sportif, vous aurez compris la métaphore. Cette activité permet à la partie de moi « enfant » de se ressourcer. Mais elle permet également de nourrir la partie de moi « thérapeute ». Celui qui a l’hypnose comme corde à son arc peux profiter de chaque moment de la vie comme une ressource et développer son sens de l’observation. Comme aime le répéter Bruno Dubos : « Tout thérapeute doit d’abord avoir une bonne connaissance de l’ordinaire. »

Le principe du « carré de White » (2) restant d’actualité, les médecins généralistes ont accès à une population plus large et donc plus diverse. Cette spécificité du généraliste face aux médecins spécialistes est idéale pour avoir cette connaissance de l’ordinaire, de l’habituel, du commun. Médecin de proximité, intervenant parfois à domicile, nous accompagnons les patients de leur arrivée dans ce monde jusqu’à leur départ. Ainsi nous sommes témoins de leur passage dans les différents cycles de vie. Nous sommes là pour les « petits bobos » du quotidien comme pour les « grandes maladies ».

Dans chacune de ces situations, l’hypnose permet d’accueillir ce qui est présent, de l’utiliser pour aller vers le mouvement, le changement, pour faciliter le chemin vers la guérison. Avec la pratique, l’approche hypnotique s’intègre à notre ordinaire de médecin pour peu qu’on continue à oser.

Si l’hypnose trouve de plus en plus sa place dans nos cabinets, elle s’installe aussi plus globalement dans le paysage « grand public ». Ainsi à côté de moi sur le pas de tir, Edgar, douze ans, m’explique que lorsqu’il s’apprête à tirer, il confie toutes ses pensées à son inconscient pour être concentré. Edgar connait déjà l’auto-hypnose !

Une fois que la distinction avec l’hypnose de spectacle est bien clarifiée, les patients sont prêts à oser l’hypnose. Aujourd’hui, j’utilise cet outil au quotidien dans mes consultations que ce soit sous forme de communication thérapeutique, d’hypnose formelle ou conversationnelle. Je partage à mon tour ces outils hypnotiques en institut de formation, à la faculté ou en congrès. C’est avec plaisir que je vois mes confrères s’approprier ces outils, ces stratégies, avec l’enthousiasme cher à André Stern. J’espère que c’est avec ce même enthousiasme qu’ils pratiqueront l’hypnose.

Atelier Pierre Le Grand
Dr. Pierre Le Grand, médecin généraliste et formateur Emergences

Article paru dans le dossier « Généraliste et Hypnose » de la revue « HYPNOSE & THÉRAPIES BRÈVES » (Revue n°50) 

  1. (1) Lors de la décoche, la flèche se plie et évite la poignée d’arc en slalomant. Pourtant la flèche atteint bien un point situé dans le plan de l’arc ! Parfois les thérapeutes doivent aussi slalomer pour atteindre l’objectif…
  2. (2) White KL, Williams TF, Greenberg BG. The ecology of medical care. N Engl J Med 1961